Alors on tente de reprendre un peu le contrôle de ce qui nous échappe totalement, on pense ne pas avoir bien compris tous les mots pourtant simples et bienveillants du médecin. On cherche des explications, on questionne. Au même moment nos regards et nos caresses se posent naturellement sur Solène, emmitouflée dans sa poussette entre nous deux, immergée elle aussi dans cette ambiance lourde, pesante, écrasante. En la voyant, on a du mal à croire que l’inimaginable qui nous est annoncé en direct a déjà fait son œuvre, et que les dégâts sont bien là, présents dans sa petite tête ronde bien au chaud sous son bonnet... Pourquoi elle, pourquoi nous ?, que s’est-il passé ?, que n’ a-t-on pas fait pour mieux la protéger ?, qui est responsable ? pourquoi découvrir maintenant l’existence de ce virus au nom barbare ? pourquoi la gynécologue ne nous en a-t-elle pas parlé ? aurions-nous choisi l’avortement si nous avions su avant ? souffre-t-elle ?, que comprend-elle de ce qui se passe ? quelles évolutions possibles ? quelles conséquences pour elle ?, pour nous ?... Les questions et les émotions s’entrechoquent mêlant incompréhension, colère, culpabilité et effondrement. Après ces quelques minutes qui nous ont semblé interminables, intemporelles, irréelles, il a bien fallu reprendre le cours des choses ; quitter ce petit bureau du service pédiatrique, mettre momentanément de côté la vision de ces échographies alignées sur ce tableau lumineux, et aller vite rejoindre notre fiston Raphaël, qui nous attendait à la maison avec ses grands-parents... Il n’était pas question de s ‘écrouler, aussi pour lui... Puis la vie reprend progressivement ses droits, rythmée par des rendez-vous de kiné en libéral, complémentaires aux prestations dispensées par le CAMSP (centre d’action médico-social précoce), que nous avions eu l’occasion de rencontrer dans la cadre de nos emplois respectifs ; Élodie en tant que professeur des écoles, et moi comme éducateur spécialisé. Nos connaissances et notre implication quotidienne auprès d’enfants dans le secteur de l’éducation et du handicap nous ont sûrement aidés à sortir un peu plus vite la tête de l’eau que d’autres parents; pour info, nous nous étions rencontrés quelques années auparavant dans le cadre de notre travail dans un établissement accueillant des enfants en situation de handicap. Pendant que nous nous occupions des enfants des autres, il nous fallait également essayer d’accompagner notre propre fille de la manière la plus « professionnelle » que nous puissions en tant que parents (légèrement paradoxal comme histoire...); tout en prenant garde à ne pas entraver le travail pluridisciplinaire des équipes, nous tentions d’être aussi force de proposition, de questionnement. Nous étions à toutes les instances consultatives, actifs aux séances thérapeutiques où nous étions invité à participer comme dans toutes les autres démarches administratives. C’était pour nous un moyen d’avoir le sentiment de reprendre le dessus sur cette situation qui nous échappait et au fond que nous subissions. Soutenus depuis le début par nos familles et nos amis, de nouveaux projets de vie sont apparus au fil des mois, des années (l’achat d’une voiture un peu plus grande, la recherche d’une petite maison de plain pied, etc.) tout autant que notre obligation de devoir se « calquer » sur l’évolution de Solène dont nous découvrions au fur et à mesure les conséquences de son infection.
 ...Autant dire que la situation de Solène n’est pas de tout repos puisqu’elle nécessite de multiples prises en charge d’ordre médical, paramédical et socio-éducatif orientés vers sa socialisation, sa communication , son bien-être. Elle a malgré tout la chance d’être accompagnée dans un EEAP (établissement pour enfants et adolescents polyhandicapés) où elle bénéficie de soins et prestations adaptées à ses besoins, complémentaires les unes des autres, et menées par des professionnelles de qualité. Mais la vie de Solène ne s’arrête évidemment pas aux portes de l’institution et avant d’être une « petite polyhandicapée » parmi tant d’autres, c’est notre Soso, notre fille, que nous avons besoin d’avoir près de nous,tout autant qu’elle a besoin de nous pour s’épanouir, de ses frères et sœurs, de ses grands-parents, de ses cousins/cousines, des animaux de la maison, de sa chambre, de ses musiques, de ses jouets, de ses habitudes. Si Solène a depuis tout temps était qualifiée de « petite fille sereine », c’est aussi grâce à tout cet entourage affectif et l’amour qu’elle sait procurer autour d’elle. C’est dans ce sens qu’il nous semblait impossible de ne pas favoriser son maintien à domicile ; nous sommes d’ailleurs actuellement en pleine modification de notre petite maisonnette, au milieu de la poussière et du bruit... Par ailleurs, nous pensons que l’équilibre de Solène est aussi dû à l’ouverture qu’on peut lui offrir sur le monde extérieur, en lui faisant découvrir des sources de stimulations différentes et complémentaires à celles proposées par l’EEAP. Elle bénéficie chaque semaine d’une séances d’orthophonie libérale selon la méthode PADOVAN et de l’intervention d’une lectrice à notre à domicile, de séances d’ostéopathie mensuelles, et d’une cure de 2 semaines par an dans un centre de neuro-rééducation fonctionnelle intensive à l’étranger. Cet investissement familial n’est pas vain puisque nous voyons de réels bienfaits tant physiquement et psychologiquement pour elle, que moralement pour pour tout le reste de la famille. Une de nos petites victoires (en lien avec nos professions respectives et nos idéaux) a été aussi que Solène ait pu connaître et être accompagnée pendant 3 ans en crèche. Elle a ensuite été scolarisée dans une école « classique » jusqu'à l'âge de 7 ans. Nous nous sommes aperçus à quel point l’environnement ordinaire (pour peu qu’il soit prêt à faire l’effort de déconstruire ses représentations sur le handicap et de le voir comme un élément porteur pour tous...) peut être source de stimulation et d’évolution pour Solène, autant que pour les autres enfants. Son sourire permanent, ses éclats de rire et sa recherche constante de relations aux autres ont largement contribué à dédramatiser l’image du polyhandicap. Solène n’était plus la « petite fille en fauteuil » de l’école maternelle, mais la locomotive du petit train que les enfants voulaient pousser à tour de rôle pour aller en récréation ; le langage des signes simplifié était devenu une façon de traduire et de dynamiser les petites comptines chorégraphiées et chantées à l’unisson par les enfants. Toutes ces années ont permis à Solène de croiser des gens qui l'ont considérée et aidée à progresser chaque jour un peu plus : personnel de la crèche, enseignantes, AVS... Nous voyons à quel point Solène peut aussi être moteur pour l’entourage et une force pour nous tous. Initialement vécue comme une sorte d’injustice, de manque ou de malheur, cette situation nous amène, voire nous oblige à voir la vie différemment, à redéfinir les priorités du quotidien, à prendre du recul sur les événements, à dédramatiser des situations qui pouvaient auparavant peut-être plus nous préoccuper, pour ne s’attacher qu’aux éléments essentiels : la santé, la famille, l’amour et l’amitié... - une tétraplégie spastique qui l’amène à devoir être positionnée en permanence dans de multiples appareillages divers et variés (corset, verticalisateur, siège-coque, Motilo, atèles, etc.) afin de prévenir toutes malformations à venir...ce qui ne l’a pas empêchée de subir une double ostéotomie des hanches il y 4 ans quand-même... - une hypotonie axiale qui l’empêche de tenir correctement sa tête et peut occasionner des problèmes de déglutition et des fausses routes. En lien également avec son petit gabarit, Solène complète son alimentation mixée en journée, par un complément nutritif administré par voie entérale, la nuit. - une absence de langage verbal, - une perte d’audition totale de l’oreille droite et partielle de l’oreille gauche (prothèse auditive) - un état épileptique qu’il convient de stabiliser régulièrement - une fragilité respiratoire limitée par des aérosols et des séances de kiné quotidiennes...